Kinshasa, le 7 mai 2014
REFLEXION AUTOUR DE LA PROBEMATIQUE RELATIVE AU TRANSFERMENT DES EAUX DU FLEUVE CONGO OU DE SES AFFLUENTS POUR LE RENFLOUEMENT DU LAC TCHAD
A l’Honorable MPANANO, Président de la cellule de veille et d’éveil sur la problématique de transfèrement des eaux de la rivière Ubangi vers le lac Tchad
Au Palais du Peuple A Kinshasa / Lingwala
I. DE L’INTRODUCTION
Le Lac Tchad est limitrophe à 4 pays africains dont le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigéria pour lesquels il fournit à plus de 20 millions de riverains des ressources en eau pour leurs besoins divers ainsi que des ressources halieutiques pour leur alimentation.
Aujourd’hui, le lac Tchad couvre moins de 10 % de la surface qu’il occupait au début des années 1960, et ce, à cause notamment d’une mauvaise gestion des ressources hydriques et des déficits pluviométriques des décennies passées dont les effets combinés ont fini par provoquer de sérieuses sécheresses aggravées par le déboisement sauvage.
Cette perte par le Lac Tchad de plus de 90% de sa superficie constitue une véritable catastrophe écologique due à l’utilisation abusive et irrationnelle de ses eaux douces par les populations riveraines sans que les gouvernements des 4 pays limitrophes ne fédèrent leurs stratégies pour endiguer ce phénomène prévisible.
II. DU CONTEXTE DE LA PROBLEMATIQUE
La surexploitation de ressources hydriques du Lac Tchad est essentiellement due à la satisfaction des besoins en eau pour l’’irrigation des terres agricoles de ce bassin lacustre.
Par ailleurs, les pratiques non écologiques d’une pêche irresponsable ont dévasté les ressources halieutiques et ont globalement contribué à la destruction quasi irréversible de l’ensemble des écosystèmes aquatiques.
La responsabilité de ce désastre écologique incombe aux gouvernants des pays limitrophes qui n’ont pas imposé les pratiques d’une bonne gouvernance environnementale et de gestion rationnelle des ressources naturelles dans l’encadrement des activités humaines autour du Lac Tchad.
L’explosion démographique ainsi que les importantes évaporations surtout en période sèche sont également des facteurs déterminants dans la perte des eaux de ce lac intérieur déjà soumis à une pression anthropique intense et avide d’eau.
III. DE LA SITUATION ACTUELLE
A ma connaissance en tant qu’ancien Ministre en charge de l’Environnement, il existe au moins 2 projets de transfert d’une partie des eaux de l’Ubangi, important affluent du fleuve Congo, pour le renflouement du Lac Tchad en vue de compenser son déficit en eau.
Evidemment, tout projet de ce genre requiert impérativement pour leurs mises en œuvre, l’accord de la République Démocratique du Congo, étant donné que le Fleuve Congo prend sa source dans notre pays et qu’en plus son embouchure se situe à la côte atlantique du côté congolais.
Cependant, selon les informations en notre possession, contrairement à la République du Congo (Brazzaville) qui a déjà donné son accord pour un de ces projets, le gouvernement de la RDC ne s’est jamais prononcé officiellement pour autoriser le transfert des eaux de l’Ubangi pour renflouer le lac Tchad. La RDC aurait cependant adhéré à l’un de ces projets en tant que simple observatrice.
Du côté des pays limitrophe, sous l’impulsion politique et financière du Nigéria, il a été créé la Commission du Bassin du Lac Tchad à laquelle font également partie la RCA, le Niger, le Tchad et le Cameroun pour une gestion commune de ce lac intérieur peu profond, véritable épine dorsale des économies des régions riveraines.
Il semblerait que depuis un certain temps, cette organisation sous-régionale s’attèle à la réalisation des études de faisabilité de projet de transfert des eaux de l’Ubangi.
Mais paradoxalement, contrairement à la volonté des Etats à rétablir la superficie de ce lac à des proportions antérieures, les populations riveraines du Lac Tchad s’opposent farouchement à son renflouement car cette opération leur priverait de précieuses terres fertiles récupérées suite au recul du lac. En effet, tout renflouement entrainera l’engloutissement des terres arables particulièrement fertiles ainsi qu’une réduction importante de leurs espaces de vie des populations riveraines en pleine croissance démographique.
Il est évident qu’en l’absence de toute politique drastique, cette pression anthropique considérable condamnera le Lac Tchad à un assèchement total comme ce fut le cas il y a plus de 200 siècles.
Et pourtant, depuis plusieurs années, nous, écologistes avions tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme en dénonçant le laxisme et la passivité des gouvernements des pays riverains qui n’ont pas pu prendre des décisions idoines, courageuses et concertées en vue d’anticiper l’inéluctable épuisement des eaux du Lac Tchad, assistant ainsi sans réaction à sa surexploitation, au déboisement des berges et, par conséquent, à la perte de sa superficie.
Bien plus grave, les autorités administratives et politiques des pays riverains ont même poussé bien loin leur irresponsabilité en affectant les espaces rendus par le recul du Lac Tchad, d’une part, à l’agriculture intensive nécessitant d’importantes irrigations et, d’autre part, en les lotissant pour satisfaire les besoins en logements de populations locales.
Au niveau international, plusieurs réflexions de haut niveau s’accordent sur la nécessité et l’urgence de recourir aux eaux du Fleuve Congo comme unique solution pour endiguer cette catastrophe écologique aux conséquences extrêmement graves.
Du côté de la RDC, depuis quelques années, il s’est engagé un débat peu transparent autour de la problématique relative aux projets de transfert d’eau du Fleuve Congo vers le lac Tchad. La démarche de la RDC me semble peu proactive et mal coordonnée entre le gouvernement et le parlement, et ce, malheureusement sous l’impulsion de la communauté internationale.
Chaque congolais est donc concerné par cette problématique écologique dont les impacts négatifs pourraient (i) compromettre la pérennité de nos écosystèmes naturels indispensables à la préservation de la biodiversité, (ii) sacrifier l’assurance à long terme d’une vie écologiquement équilibrée pour des millions congolais de générations présentes et futures et (iii) risque de rendre « non opérationnel » le barrage hydroélectrique d’Inga durant la saison sèche.
IV. DE MA POSITION POLITIQUE
C’est dans ce cadre que j’engage cette réflexion pour attirer l’attention des décideurs et du peuple congolais sur cette problématique fondamentalement écologique et extrêmement sensible au plan géopolitique dont toute mauvaise appréciation aura des conséquences intergénérationnelles incalculables.
Je pense que la décision du gouvernement et du parlement face à cette problématique devra être éco-responsable et viser clairement les intérêts du peuple congolais, détenteur naturel de ces immenses ressources en eau douce et également gardien naturel de son environnement à méga-biodiversité dont les générations futures auront besoin pour faire face aux enjeux environnementaux de leur époque.
En tant qu’écologiste, ma réflexion va s’articuler fondamentalement autour des impacts durables d’un tel transfert sur nos écosystèmes naturels, sur les retombées climatiques, sur les conséquences socioéconomiques ainsi que sur les aspects de rentabilité financière.
Je tiens, par la présente occasion, à attirer l’attention des décideurs congolais sur le fait que cet assèchement du Lac Tchad est la conséquence de la mauvaise gestion de leurs ressources naturelles par des gouvernements des pays limitrophes qui, jusque là, ne semblent pas opter pour des décisions courageuses et responsables pour endiguer ce phénomène provoqué par leurs populations.
Dans ce contexte, il faudra que soit définie au plan technique, l’approche stratégique de cette opération qui consistera de soutirer de l’eau douce du fleuve Congo et de la transférer jusqu’au Lac Tchad en se posant la question ci-dessous :
S’agira-t-il d’une action limitée dans le temps ou au contraire d’un transfert à durée indéterminée faisant du Fleuve Congo une source d’approvisionnement permanente en eau douce pour les pays limitrophes du Lac Tchad en vue de la satisfaction pérenne de leurs besoins en eau douce ?
Etant donné que la démographie est galopante autour de ce lac et que s’y pratiquent une agriculture nécessitant de plus en plus d’eau pour l’irrigation des terres, comment ferait-on dans l’avenir si ces transferts venaient à préjudicier nos écosystèmes et que nous serions dans l’obligation de mettre fin au transfert des eaux?
Face à ces préoccupations pertinentes, le gouvernement devra commander à la charge des pays intéressés une évaluation environnementale approfondie assortie d’une étude d’impacts environnementaux et sociaux (i) de la zone de soutirage, (ii) tout au long des milieux naturels traversés par le réseau de transfert ainsi que (iii) de la zone de déversement.
En mon sens, le but essentiel d’une telle exigence concerne la maîtrise globale des impacts environnementaux en RDC, notamment sur le débit du fleuve, sur le changement climatique et la pluviométrie, sur la biodiversité, sur le sol et le sous-sol ainsi que sur la rentabilité socioéconomique.
De l’avis des experts, il y aura globalement une incidence environnementale négative du projet de soutirage des eaux du fleuve Congo dont le niveau de gravité dépendra de la localisation géographique du soutirage et de la spécificité écologique de la zone d’insertion de ce projet.
D’autres paramètres déterminants devront également être pris en compte dont, du débit du soutirage, de la durée de l’opération ainsi que de tant d’autres éléments techniques et technologiques nécessaires à la mise en œuvre durable de ce projet.
V. DES CONCLUSIONS
De tout ce qui précède, il est urgent d’envisager des études multisectorielles approfondies avant de s’engager dans ce projet dont les intérêts de notre pays ne sont pas évidents sinon ceux de solidarité.
Il faudra éviter que des dommages irrémédiables soient infligés à nos écosystèmes en prenant toutes les précautions d’usage pour ne pas rompre irréversiblement les équilibres éco-systémiques fondamentaux par des interventions qui ne serviront jamais nos intérêts intergénérationnels.
Dans des cas aussi complexes, je recommande à chacun et à tous, la prise en compte systématique du principe de précaution et la définition claire des intérêts multisectoriels que la RDC tirerait de ce type de projet.
Au plan politique et institutionnel, la RDC ne disposant pas de réelles mesures d’application de sa loi cadre sur l’environnement, il est prévisible que l’évaluation environnementale stratégique ainsi que les études d’impacts environnementaux et sociaux ne pourront être réalisables de manière convenable.
Il nous appartient donc de prendre nos responsabilités politiques face à cette problématique qui engage l’avenir de notre environnement.
Pour ma part, je considère que ce projet n’est pas opportun en l’état, à moins que d’autres éléments que j’ignore m’en donne la preuve du contraire.
Fait à Kinshasa, le 07 mai 2014
DIDACE PEMBE BOKIAGA
Député National